Oui, je fais des fautes.

Oui, je fais des fautes.

 

L'intérêt d'assumer ses erreurs d'orthographe

 

On l'a entendu et lu suite à une récente étude de la Depp (1) : le niveau en orthographe baisserait. Face à ce constat, la culpabilisation est courante. Les « fauteurs » seraient des individus négligents, incompétents...
Et si c'était bien plus complexe que cela ? Et si renforcer une honte déjà présente, hélas, créait un effet « boule de neige » ? Et après tout : pourquoi avoir honte , alors que tout le monde fait des fautes ?

L'effet pervers de la honte d'écrire.

 

L'orthographe française est très complexe, le sociologue P.Cibois en témoigne : « (...) comme lecteur on n'a aucune difficulté avec les bizarreries du système orthographique (…) Mais à l'écriture le point de vue change car les bizarreries du système conduisent à l'hésitation et à la faute. » (2) Pourtant, le nombre d'heures nécessaires à l'enseignement de cette matière a diminué et est aujourd'hui insuffisant. On sait également que chaque apprenant est un être à part entière, avec des besoins, des capacités, une personnalité, un mode de mémorisation propres. Hélas, l'enseignement ne semble pas disposer des moyens d'appliquer ces nouvelles données et tarde à se remettre en question.

 

Orthographe et sociologie

La sociologie s'est aussi penchée sur l'orthographe comme marqueur social. En effet, les chances de maîtriser celle-ci sont meilleures si nos parents ont fait des études supérieures, nous ont accompagnés dans le goût de la lecture et dans notre réussite scolaire (aide aux devoirs, par exemple).
L'un de mes enseignants de sociologie trouvait honteux de prendre en compte les erreurs d'orthographe dans la notation, car cela revenait, selon lui, à noter le milieu social d'origine de l'étudiant. D'un autre côté, on cesse d'enseigner l'orthographe au collège. Personne ne nous reprend en main non plus à l'université, même lorsque l'on s'engage dans des filières langues et enseignement (comme c'était mon cas). Ainsi, comment, devenus adultes, allons-nous combler nos lacunes ? Comment arriver préparés dans la vie active si demandeuse en mails, textos, publications et autres notes de service ?

Insécurité linguistique

Cette notion de William Labov en dit long. Plus récemment, Michel Francard en parle comme d'une prise de conscience de la distance entre la langue que l'on parle et celle « légitime » (2). Et c'est bien cela, la faute : un écart (souvent malgré soi) à la norme.
Ressentir un manque de maîtrise, une faiblesse, une précarité lorsque l'on emploie celle qui est censée être sa langue est un phénomène que les sociologues ont en effet intitulé l'« insécurité linguistique ».
C'est terrible quand on y pense, car l'écrit est partout et de plus en plus présent. Le temps disponible pour se corriger, lui, diminue proportionnellement. C'est donc une situation qui semble aller de mal en pis.

Et la psychologie dans tout ça ?

Celui qui écrit n'a pas qu'une main, mais aussi un cerveau et un cœur. Oui, ça semble évident, pourtant on oublie la dimension psychologique de l'orthographe. Elle est essentielle.
La psychologie jouera tout d'abord au moment de l'apprentissage de l'orthographe : les notions seront par exemple mieux acquises si l'élève a une image positive de l'école ou n'est pas submergé par des problèmes personnels qui le déconcentrent. De même, l'impact d'une humiliation orthographique à l'école aura des répercussions toute la vie. Ainsi, je n'oublierai jamais cet enseignant d'élémentaire qui, durant l'étude, s'était moqué de moi devant tous les élèves, car je ne savais pas utiliser un dictionnaire. Il aurait mieux fait de m'apprendre à le faire ou de se demander pourquoi on ne me l'avait pas encore enseigné...
Adulte, la dimension psychologique demeure essentielle, et être « bien dans ses baskets » est nécessaire pour écrire le cœur léger. « Maîtriser l’orthographe est un signe d’appartenance à la communauté des lettrés, d’éducation, de réussite. Un enjeu majeur, donc, pour ceux qui ont besoin de se sentir reconnus par le groupe, intégrés ou simplement aimés. » (3) écrit Cécile Guéret dans le magazine Psychologie.
Avoir un rapport pacifié, décomplexé à l'orthographe est nécessaire pour se frotter à ses lacunes, ouvrir un livre, un dictionnaire, voire simplement pour en parler.
Il existe, par exemple, un phénomène très fréquent nommé l'hypercorrection. Il consiste à vouloir si bien faire que l'on provoque des erreurs, comme l'ajout de terminaisons. Détendus, on ne se serait pas posé la question de trop qui nous fait perdre nos repères. Et cette perte intervient vite. Essayez pour voir : il suffit de répéter un mot simple une dizaine de fois (comme « plutôt ») pour se mettre à douter de son écriture.
De l'autre côté du bâton, on trouve le grammar nazi. Cette personne critique les fautes des autres pour conforter son ego en réalité fragile.
Puis il y a les gens comme moi, qui peuvent perdre confiance en eux de peur d'être jugés, connaître des difficultés de concentration, douter et finir par écrire fautivement alors qu'ils connaissent la règle ou l'orthographe lexicale.

La faute d'orthographe est taboue, on en viendra tous à bout !

Récemment encore, j'ai signalé une erreur sur la page Facebook d'étudiants se destinant à l'édition. J'ai constaté l'effacement de mon commentaire et la correction de la faute que j'avais signalée. Pourquoi cette honte ? Dans le monde de l'édition, tous les livres sont corrigés avant publication, et l'on retrouve des erreurs même chez les plus grands auteurs. Le texte officiel des recommandations orthographiques de 1990 présente d'ailleurs une coquille, page 5 : « *Dans la verbes en -eler... » ! (9)
Personnellement, je suis régulièrement corrigée par les membres de mon groupe dédié au français. Cela ne m'empêche pas de transmettre ma langue, au contraire, je souhaite le faire en dédramatisant l'erreur et la sortir de ce cercle vicieux propre aux sujets tabous.
Se tromper est en réalité une étape de l'apprentissage. Dans le cas d'une matière aussi vaste et complexe que la langue française, il est bien possible que son étude se poursuive toute la vie ! Si l'on cache ses lacunes et que l'on évite de s'exprimer de peur de ne pas être parfait, on s'empêche à la fois de s'améliorer et d'être serein.
Lors de mes recherches, j'ai consulté des entretiens d'auteurs et de coachs en orthographe. Tous mentionnent les clauses d'anonymat que certains clients leur ont demandé de signer. Vont-ils jusqu'à assister aux formations en orthographe avec une perruque, des lunettes et un faux-nez ?

Remédiation : les méthodes

S'il est rare de l'avouer, les gens souffrant de lacunes en orthographe sont nombreux. Des ouvrages sur le sujet sont d'ailleurs régulièrement publiés depuis quelques années. En les consultant, j'ai été surprise par leur « conformisme ». Je retrouvais en effet l'éternel vocabulaire moralisateur sur la faute (« Il est inexcusable de... »), les exercices sans explications renvoyés à la fin de l'ouvrage (comme si ça allait nous empêcher de tricher !), les « astuces » n'ayant rien de ce nom et tout d'un simple rappel de la règle, et la même formulation complexe que l'on retrouve dans toutes les grammaires classiques.

Heureusement, des ouvrages traitant des fautes d'une nouvelle manière commencent à émerger. Ils sont produits par des personnes qui ont elles-mêmes rencontré des difficultés (comme Anne-Marie Gaignard (5) ou Daniel Picouly (6) ) ou encore emploient une parole moins élitiste, comme c'est le cas du coach belge le plus débonnaire qui soit ; Bernard Frippiat (7). Celui-ci n'hésite pas à faire appel à des sketches ou à des capsules médiatiques pour transmettre ses techniques de remédiation.

Ainsi, les méthodes anti-fautes commencent-elles à emprunter des voies ascendantes. J'entends par là qu'elles partent des gens pour répondre à leurs besoins orthographiques. Elles ne se fondent pas sur la sacro-sainte grammaire traditionnelle du haut pour venir écraser monsieur Tout-le-Monde de son jargon, son autorité supérieure, de la même sempiternelle manière et sans accompagnement.
Ouf ! Il était temps !

On fait tous des fautes

Mon recueil d'astuces (8) se situe entre les deux, ni le livre d'une élite, ni celui d'une personne touchée par un trouble de l'apprentissage. C'est un livre pour les gens lambda comme moi, qui ont des doutes face à l'orthographe et veulent des solutions rapides à leurs fautes courantes, des formulations courtes et claires des règles, et des exercices expliqués. J'y ai rassemblé ce que j'avais inventé pour combler mes propres lacunes à défaut de trouver cela ailleurs, puis l'ai étoffé pour correspondre aux autres erreurs courantes.
En résumé, je me suis débrouillée toute seule, et c'est peut-être ce qui fonctionne le mieux pour obtenir un accompagnement personnalisé et donc efficace. C'est connu : on n'est jamais si bien servi que par soi-même !

En conclusion

 

J'aimerais que le tabou de la faute saute. Je pense qu'il n'apporte rien de bon, au contraire.
Je souhaite que chacun parle sans honte des fautes qu'il commet régulièrement. Ainsi, au lieu de les refouler pourrait-on en parler, échanger ses astuces, se libérer et enfin, progresser. Pour ma part, par exemple, je dois régulièrement relire la règle d'accord du participe passé des verbes pronominaux. Rien à faire : si je ne pratique pas, elle m'échappe à nouveau. De même, mon dictionnaire n'est jamais loin, car j'ai régulièrement des doutes sur l'orthographe lexicale d'un mot peu utilisé. Comme brocolis, auquel j'ai toujours envie de mettre deux C. Allez savoir pourquoi !
En résumé, la honte ne sert à rien, pire elle aggrave le problème. La bienveillance, l'échange et la tolérance s'avèrent plus productifs.
Quant à vous, les messieurs et mesdames Perfection, ne vous méprenez pas, on sait bien que vous aussi, vous faites des fautes !

 

 

Sources citées :
(1) Éducation nationale. Les performances en orthographe des élèves en d'école primaire. (consulté le 20/11/2018) http://www.education.gouv.fr/cid23433/les-performances-en-orthographe-des-eleves-en-fin-d-ecole-primaire-1987-2007-2015.html
(2) Point de vue sociologique sur l'orthographe Paru dans Rééducation Orthophonique, n°200, décembre 1999, p.5-11 Philippe CIBOIS
(consulté le 19/11/2018) http://cibois.pagesperso-orange.fr/SocioOrthographe.pdf
(3) Université de Rennes 2. Dynamiques de la langue française au 21e siècle, une introduction à la sociolinguistique. « Sécurité / insécurité linguistique et la notion de faute » (consulté le 20/11/2018) http://www.sociolinguistique.fr/cours-4-4.html
(4) Psychologies. « J'ai horreur des fautes d'orthographe. » par Cécile Guéret (consulté le 20/11/2018) http://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Comportement/Articles-et-Dossiers/J-ai-horreur-des-fautes-d-orthographe
(9) Les rectifications de l'orthographe.(consulté le 20/11/2018) http://www.academie-francaise.fr/…/…/rectifications_1990.pdf
Auteurs cités :
(5) Anne-Marie Gaignard – La Revanche des nuls en orthographe. (2012) Clamann-Levy
(6) Daniel Picouly – La Faute d'orthographe est ma langue maternelle. (2012) Albin Michel
(7) Bernard Fripiat – Se réconcilier avec l'orthographe. (1999) Demos Eds
(8) Marie-Caroline Braud – On Fait tous des fautes. Et on peut tous améliorer notre orthographe. (2019). Marie-Caroline Braud.